Si on vous demande où se trouve le pays des moulins, nul doute que plus d’une personne répondra les Pays-Bas. Mais les Néerlandais avaient laissé au vent la difficile mission de les faire tourner. En Chine, à Tongren, on fit un choix différent. Non seulement les moulins ne moudraient pas le grain, se contentant de faire voler au vent des mantras, mais il faudrait les faire tourner à la main. Certains argueront au choix que les Néerlandais sont de gros feignants ou que les Tibétains dépensent leur énergie en pure perte, mais là n’est pas le débat. Toujours est-il que ces moulins à prières m’ont inspiré. J’en ai fait une série de portraits et n’ai pu m’empêcher de prêter quelques pensées iconoclastes aux protagonistes de cette série.
Après cette introduction vous en conviendrez des plus habile pour ménager la chèvre et le chou, un petit point géographique s’impose. Tongren (Rebkong en tibétain) est une ville située à 2500 m d’altitude dans les montagnes de la région chinoise du Qinghai. Même si nous ne sommes pas au Tibet (Lhassa est à 2000 km d’ici), un grand nombre de Tibétains peuplent cette région. Venir à Tongren, où encore à Xiahe dont je vous parlerai prochainement, c’est avoir la possibilité d’être en contact avec cette population sans avoir à subir les nombreuses contraintes ni le coût d’un voyage au Tibet.
N’aimant pas les cheminements un peu trop directs, avant de vous parler de Tongren, laissez-moi donc vous y emmener. Car même si la destination fut à la hauteur des espérances, m’y rendre fut l’occasion de quelques anecdotes tout aussi cocasses qu’insignifiantes. Ça tombe bien, en voyage, préférant souvent les petits riens aux grands m’as-tu-vu, l’insignifiance me va comme un gant.
Alors que je suis encore à Xining, une conspiration semble s’être installée pour que je ne me rende pas à Tongren. Personne ne comprendra jamais ma prononciation du nom de cette ville. Entre le g et le r se glisse un son mystique, un machin bidule truc que mon cerveau perçoit vaguement, mais dont ma gorge et ma langue ne veulent point. Mes nombreuses tentatives auront le don d’amuser mes interlocuteurs, c’est toujours ça de pris ! Le sinogramme magique (同仁) se chargera du reste, à savoir m’y emmener.
En montagne, une route […] ça courtise les sommets
Mon guide décrivait la route entre Xining et Tongren comme étant magnifique, awesome comme ils disaient. Mais cette magnificence a été enterrée avec l’eau du bain ! La route qui remontait une gorge étroite s’est transformée en enfer bétonné suite à l’arrivée de madame autoroute et de ses gros sabots. En montagne, une route, ça serpente, ça épouse le relief, ça courtise les sommets, ça danse avec. Une autoroute par contre, ça ne fait que l’enjamber vulgairement à grands coups de ponts et la percer à coups de tunnels. À part les derniers kilomètres, durant plus de 50 km, ce ruban de bitume est en permanence monté sur échasses.
Arrivé à Tongren, le schisme linguistique se rappelle à moi. Alors que je demande en chinois à la réceptionniste de l’hôtel si elle a une chambre simple, elle répète ma propre question. Dans un premier temps, je suis assez fier de moi, elle m’a compris, ce qui n’est pas toujours le cas. Quand je lui demande le prix, elle répète à nouveau ma requête. Là, je sors mon meilleur sourire en me disant t’es bien gentille de comprendre mes questions, mais si tu pouvais y répondre ça m’arrangerait, mais en vain. La comédie durera quelques minutes jusqu’à ce que je réalise qu’en fait, elle ne parle pas chinois. Évidemment elle ne parle pas davantage anglais, seulement tibétain. Nous sommes donc faits pour nous entendre !
Un moulin à prière, matin, midi et soir tu tourneras
Me voici donc enfin à m’adonner à mon activité favorite, observer tout ce beau monde qui m’entoure. Au marché de Tongren, tout le monde est très affairé, mais la plus grande activité ne semble pas être là. En fait, ici, de 7 à 77 ans, on tourne le moulin à prières, de père en fils, de mère en fille. Aussi, à regarder ces multitudes, mon imaginaire c’est permis de légender quelques-unes de ces photos tournantes à ma manière. Je ne doute guère que les habitants de Tongren qui n’ont pas été les derniers pour rire avec moi adhéreraient à mon interprétation, aussi personnelle et discutable soit-elle.









Et quand on ne fait pas tourner un moulin à prières, on tourne autour d’une statue devant le monastère de Longwu, sans oublier bien sûr de papoter. Ça a indéniablement un côté un peu austère tous ces tours accomplis de manière on ne peut plus rébarbative, mais la bonne humeur n’en est pas moins au rendez-vous.
Une fois entré dans le monastère, on se trouve face à un dédale de ruelles, une ville dans la ville. En ce début d’après-midi, tout est calme. Quelques jeunes moines courent ici et là, mais la plupart semblent avoir déserté, à moins qu’il ne soit l’heure de la sieste.
Quand un monastère ne présente pas porte close, à l’intérieur, comme il se doit, Bouddha veille. Om mani padme hum, om mani padme hum, om mani padme hum…

Mais soudain, alors que je poursuis toujours aussi tranquillement ma balade, deux moines jaillissent de nulle part et me tombent dessus, au sens propre. Croyez-moi, j’ai frôlé le pire. Oui oui, le pire ! Jugez-en par vous-même, mon regard trahit bien la terreur (n’ayons pas peur des mots) qui s’est emparée de moi. Comme quoi, on a raison de rappeler qu’en voyageant, on s’expose parfois à bien des dangers !
Bref, une fois de plus, mes zygomatiques ont eu droit à un peu d’exercice. Comme beaucoup de monde à Tongren, les moines semblent avoir été ébahis par mes 1 m 90. J’ai bien entendu l’habitude en voyage qu’on me trouve grand, mais ici, les gens me le montrent plus qu’ailleurs, dans un mélange d’amusement et parfois même de sidération. Si vous voulez mon avis, c’est peut-être l’endroit rêver pour m’autoproclamer grand gourou et me constituer rapidement un groupe de fidèles !
Après mûre réflexion, cet assaut monacal visiblement très bien préparé explique peut-être pourquoi à l’entrée du monastère de Longwu, big brother is watching you. Un car de police joliment décoré de quelques caméras veille à la sécurité des âmes perdues comme la mienne, et ça, c’est important. Car au fond, que pourraient-ils bien surveiller d’autre ces policiers devant un monastère tibétain ?
Infos pratiques
Hôtel à Tongren : paré de votre meilleur tibétain, l’hôtel Rebgong Norbang Travel Inn est assez sympa. C’est clairement un bon cran au-dessus des hôtels que je fréquente habituellement (tout de même 190 ¥ la nuit), mais les chambres de style traditionnel tibétain ont un certain cachet. La ville n’étant pas très touristique, l’offre est de toute façon assez limitée.
Visiter Tongren ou Xiahé : bien que le monastère de Longwu soit des plus plaisant, on ne peut objectivement pas le comparer à celui de Labrang à Xiahé. Mais ce qui est très agréable à Tongren, c’est que les touristes sont pour ainsi dire absents du lieu, et ça en Chine, c’est plutôt rare et très appréciable.
Itinéraire de ce voyage
J'ai visité le nord-ouest de la Chine en mai 2015. J'avais rejoint la Chine en train depuis Paris via la Russie et le Kazakhstan. Voici les articles couvrant ce voyage.
- Impressions de Chine : ils sont 1,4 milliards, et moi et moi et moi
Un aperçu global de ce voyage
- Paris-Moscou, première étape de mon voyage en train vers la Chine
- Moscou-Ürümqi, seconde étape en train vers la Chine à travers le Kazakhstan
- Astana, la Dubaï des steppes kazakhes
- Tourfan, l’oasis aux portes du désert du Taklamakan
- Dunhuang et les dunes du lac du croissant de lune
- À Jiayuguan, j’ai marché sur l’extrémité occidentale de la Grande Muraille de Chine
- Le parc de Zhangye Danxia : les Chinois ont inventé la planète Mars
- Xining, êtes-vous vraiment certain de vouloir aller à Xining ?
À Tongren, si t’as pas tourné un moulin avant 50 ans, t’as raté ta vie
- Calme et sérénité au monastère de Longwu
- À Xiahe, en visite chez les punks tibétains du monastère de Labrang